from the book
Qui est Dany ? Quelqu’un qui a disparu de mon entourage depuis des années. Un cow-boy croisé sur un vol Paris-New York, moi qui ne rencontre jamais personne en voyage, redoute l’avion et suis obligée de prendre un petit calmant aux plantes avant de prendre place dans l’appareil pour supporter l’épreuve de traverser le ciel. Avec un peu de chance, je finis par somnoler ou je réussis à m’absorber dans la revue sans aucun intérêt, placée sous mon siège avec les instructions de sécurité ou la liste des parfums disponibles en duty free que je connais par cœur. À défaut, je me tourne humblement vers mon hublot en collant ma joue rose contre la paroi humide, priant les nuages, l’horizon, le ciel d’être cléments une fois de plus. Puis je parcours à nouveau les rangées parallèles de passagers qui me font face en me demandant si notre sort à tous est bien scellé déjà, si ces hommes et ces femmes si tranquilles, bronzés, qui rentrent de vacances ou d’un voyage d’affaires, bien habillés et confortablement installés dans leur siège, occupés avec leur journal ou leur i-Pad, sont vraiment en train de vivre leur dernière heure jusqu’à ce que je me persuade du contraire, que tous ces dos, ces têtes et ces bras, ces visages ont encore de l’avenir devant eux, et qu’il n’y a donc rien à craindre. Dans deux heures, nous serons tous réunis autour du tapis roulant à guetter nos bagages en bâillant. Tout ira bien. Qui de nous deux a fait le premier pas vers l’autre ? Sans doute moi pour tromper le fond d’inquiétude qui résistait encore à mes derniers pronostics sur les chances de survie objectives en cas de crash frontal, à l’atterrissage, ou de blocage du train arrière, et que je ne réussissais pas à dissiper entièrement, malgré le calmant homéopathique et la couverture bleue gentiment tendue par l’hôtesse. Blottie contre mon hublot, pâle, boudant mon plateau-repas, enroulée dans ma couverture de laine Air France, je ne faisais pas trop illusion. Je devais être un peu fatiguée, parler d’une voix aiguë, le débit saccadé, comme une petite fille émotive qui regarde un film trop dur pour elle et ferait mieux d’aller se coucher tout de suite. En plus, il y avait la barrière de la langue, cet effort de concentration nécessaire pour communiquer, m’exprimer correctement malgré mon piètre accent de Française. Je devais tenir un propos banal, de circonstance comme on dit, étant donné mon anglais et ma difficulté à être en suspens dans le ciel, bref me trouver dans la plus mauvaise disposition qui soit pour faire une rencontre. Dany était israélien, un de ceux qui ne se sont pas remis du service militaire et après qu’ils l’ont terminé, ne tiennent plus en place, font le tour du monde, s’épuisent mais éprouvent le besoin de fuir le plus loin possible. Il avait voyagé partout, vécu à New Delhi, à Singapour, à Lima, et même à Cap Town, en Afrique du Sud, sans jamais se fixer nulle part plus de trois ans. C’était une promesse qu’il s’était faite à lui-même, un engagement. Dernièrement, il était tombé sous le charme de Paris, où il vivait depuis un an, seul. Après cet aveu, il s’était mis à me parler dans ma langue, directement en français, ce qui m’avait troublée. Et moi je l’écoutais et lui répondais du coup comme si je le connaissais depuis toujours, que nous étions de vieux amis qui viennent juste de se retrouver, par hasard, assis côte à côte, dans le ciel. À l’atterrissage, il m’a tendu sa carte et j’ai griffonné mon e-mail au dos de son billet sans trop d’illusion. Les rencontres de voyage doivent le rester. C’est là tout leur charme, n’est-ce pas ? Il m’a gratifié d’un shalom, puis d’une phrase en hébreu, mystérieuse, qu’il ne m’a pas traduite. Et on s’est séparés avant d’atteindre la salle des bagages. L’année qui a suivi notre rencontre dans le ciel, j’ai vu Dany presque toutes les semaines, alors que je venais de me marier, et que j’attendais un enfant.