from the book
Personne au mellah ne comprit la reconversion de Lévi. Il avait un cerveau mécanique et des mains en or. Il n’était pas un hachoir qu’il ne réparât ou une montre qu’il ne remît à l’heure. Ces dernières années, il réparait tout ce que la France écoulait au Maroc. Les vitesses des vélos, les moteurs des camions, les postes de radio. On ne savait de qui il tenait son don et le mellah entier louait son talent et enviait son pouvoir. Les Français venaient le voir avec leurs gramophones en panne, les musulmans avec leurs réchauds à pétrole, les Algériens mêmes – qui se prenaient pour des pupilles de la France, génies de la civilisation, alors qu’ils n’en étaient que des bâtards – recouraient à ses services. On racontait que le Makhzen le séquestrait régulièrement pour réparer les girouettes, les robinets publics et les horloges de la ville. Il ne parlait pas beaucoup, il ne disait presque rien. Il avait horreur d’être brusqué et ne permettait à personne de lui tourner autour alors qu’il réparait un article : « Ce n’est pas un être humain pour me demander ce qu’il a et je ne suis pas médecin pour donner un diagnostic. » Quand on lui demandait quand revenir pour récupérer l’article, il répondait : « Comment savoir ? Dans quelques heures ou quelques jours. » Il ne donnait jamais de prix à l’avance. Il le fixait après la réparation. Quand on en discutait, il répondait : « Tu m’as demandé le prix, je te l’ai donné. S’il ne te convient pas, donne-moi ce que tu veux. Maintenant qu’il est réparé, ton prix sera le mien. »