Le rire de Chelm

Alter Druyanov

Genre: Fiction

2017

about the book

Chelm est une petite ville à 300 km de Varsovie et à 17 km du Bug où passe la frontière entre la Pologne et l’Ukraine. Dans la première moitié du XXe siècle, avant la Seconde Guerre mondiale, elle comptait 30,000 habitants dont la moitié était juive. Sa renommée de Chelm de la place qu’elle tient dans le folklore et l’humour des Juifs d’Europe de l’Est et de la portée symbolique que revêt son nom. Aujourd’hui encore, on ne désigne pas une action particulièrement maladroite sans la situer à Chelm. Les histoires concernant ses habitants sont si nombreuses qu’elles se rencontrent dans l’ensemble de la riche littérature yiddish. La légende raconte qu’à la création de la ville se produisit un accident céleste entre deux anges, l’un porteur du sac de la sagesse, l’autre celui de la bêtise, et que le deuxième sac se déversa sur la ville. Chelm reste à ce jour le site virtuel de la bêtise juive, qu’elle soit israélienne, américaine ou française. Ce livre reconstitue une Chelm mythique à partir des meilleures blagues compilées par Druyanov. Il procède à une humo-sociologie des Juifs d’Europe de l’Est au XIXe siècle et au début du XXe. Ce n’est pas aussi rigoureux qu’une sociologie politique ; en revanche, c’est plus plaisant. Depuis l’époque de Druyanov, Chelm s’est arrachée à son site géographique et historique et son esprit a gagné d’autres lieux. Ce livre se veut, malgré ses sourdes et irritantes allusions, un hommage à la Nouvelle Chelm…

from the book

On ne clame pas qu’on est de Chelm à moins de l’être vraiment et dans ce cas on ne peut qu’en être patriote. On ne quitte pas Chelm parce que Chelm ne quitte pas ceux qui en sont pénétrés, même quand ils tentent de la déserter pour Varsovie, New York ou Buenos Aires. C’est du moins ce qu’insinue cette histoire parmi les plus célèbres qui a été reprise par nombre d’auteurs yiddish dont Isaac Bashevis Singer. Shlumiel, autre citoyen de Chelm, décide de se rendre à Varsovie. Pour toutes sortes de raisons que l’on peut avoir de quitter une ville par trop provinciale, quels que soient ses réalisations artistiques et ses accomplissements technologiques. La promiscuité ; la lourdeur ; la criaille politique ; l’ennui ; le voisin. Shlumiel s’engage sur la rue de Varsovie qui était l’une des plus importantes de Chelm : 0,5 Shlumiel était sûr que cette rue menait directement à la grande ville. Des voisins l’interpellent : – Mais que ferais-tu à Varsovie ? demandent-ils – Ah ! Ce que je ferais à Varsovie ? répond Shlumiel. Mais, la même chose qu’à Chelm. Rien. Shlumiel s’égare et retourne, sans s’en rendre compte, sur ses pas. Bien sûr il ne peut penser qu’il est de retour à Chelm ou que son odyssée se termine à Chelm. Malgré les tentatives de persuasion de ses voisins et de ses proches dont sa propre femme. Il se rendait à la grande ville sinon à la terre promise, il ne peut se résoudre à reconnaître qu’il est de retour à Chelm ou qu’il l’a prise avec lui. La version que Bashevis-Singer donne de ce récit se termine par une courte comptine qui mérite assurément d’être considérée comme l’hymne de Chelm : De temps en temps, Shlumiel se prenait à rêver d’aventures et de voyages, mais il se décourageait aussitôt. A quoi bon prendre la route si elle ne mène nulle part ? Souvent, lorsqu’il s’interrogeait sur la façon dont le monde tournait, son esprit s’embrouillait et il fredonnait dans sa barbe : « Ceux qui quittent Chelm sont destinés à revenir à Chelm. Ceux qui restent à Chelm sont bien à Chelm. Tous les chemins mènent à Chelm et le monde entier tourne autour de Chelm. » 0,5 Chelm serait, d’une certaine manière, l’Ithaque du Juif errant. Même vidée de ses Juifs, Chelm n’a pas disparu. Elle a déménagé. On doit imaginer la Nouvelle Chelm peuplée d’intellectuels, de conseillers stratégiques ou organisationnels, de technologues qui ne rêvent que d’accomplir leur exit (de Chelm) et de rabbins casuistes. Sans parler de l’éternel schnorrer qui se nomme désormais « chargé des ressources » ou plus prosaïquement « collecteur de fonds ». On doit passer un test de niaiserie pour être recensé parmi ses gens ; on doit montrer qu’on a le cerveau adéquat. Soit en publiant des livres, en prêchant la bonne parole ou en… racontant des blagues sans courir le risque de s’entendre dire à la manière de Chelm : « Je la connaissais déjà » : Deux Juifs sont assis face à face dans un train. L’un d’eux balaie sans arrêt son visage de sa main, comme si une mouche voletait autour de lui. Son voisin lui dit : – Qu’as-tu donc ? Tu es malade? – Dieu préserve ! Mais ces voyages sont si ennuyeux que je me raconte des blagues, et à chaque fois que je m’en rappelle une bonne, je me souviens que je la connais déjà, alors je l’efface de ma mémoire.

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