from the book
Un monument au livre, digne de lui, réclamerait de faire le tour des livres afin d’en dégager ce qu’ils ont pu dire sur eux-mêmes. Examiner ce que les philosophes en ont pensé, ce que les théologiens en ont révélé, ce que leurs commentateurs en ont rajouté, ce que la critique – philosophique, littéraire, sociologique – a trouvé à préciser ou à nuancer. Des monceaux de livres à dépouiller et à cataloguer, couvrant tous les domaines, de la philosophie à la science, de l’alchimie à la kabbale. De longues, très longues lectures seraient requises pour écrire ce livre sur le livre dont tout lecteur invétéré, revenu du livre, plus ou moins libéré de ses démons littéraires, caresserait le projet, ne serait-ce que pour prendre sa revanche contre les livres ingurgités – souvent en vain, ruminés – souvent avec des crampes, dégurgités – souvent sans complaisance. Interminable, surhumain… accablant, d’autant que les deux traits requis pour commettre ce dérisoire sacrilège – la patience et l’endurance – se rencontrent de moins en moins parmi les lettrés, auxquels on ne demande que d’écrire de plats livres pour des lecteurs de plus en plus acquis au fast book. Pourquoi passer des années à composer un livre qui retiendrait à peine l’attention alors que l’on ferait mieux de les consacrer à des récits plus ou moins réussis qu’on s’arracherait dans les gares, des confessions plus ou moins intimes qui assouviraient cette curiosité malsaine qui se rencontre chez les humains, des considérations autobiographiques sur lesquelles personne n’aurait rien à redire pour la simple raison qu’on ne les lirait pas ou n’oserait attenter à la notoriété – politique, cinématographique ou littéraire – de leur auteur ?