Le Livre

Neri Segrè

Genre: Débats

2014

about the book

Les livres ne cessent de paraître et de se relayer sur les devantures des librairies et dans les supermarchés. Nous sommes débordés par eux, pris de vertige devant les piles qui s’amoncellent dans nos bibliothèques, désespérés d’en venir à bout. Nous assistons incontestablement à une mutation dans le rôle qu’a tenu le livre dans la civilisation, par trop livresque, qui a été la nôtre jusqu’à la grande révolution télématique.
Désormais, nous sommes poursuivis par le spectre de la disparition du livre-papier et protestons de notre irréductible tendresse pour ces bons vieux bouquins qui respirent l’arbre et l’encre. On ne renoncera pas à la relation sensuelle, quasi mystique, avec ceux-ci. Peut-être ne résistons-nous autant à la perspective de leur disparition que parce que nos décors sont toujours faits de livres et que nous sommes encore – provisoirement ? – condamnés à vivre dans un univers de lettres.

from the book

Un monument au livre, digne de lui, réclamerait de faire le tour des livres afin d’en dégager ce qu’ils ont pu dire sur eux-mêmes. Examiner ce que les philosophes en ont pensé, ce que les théologiens en ont révélé, ce que leurs commentateurs en ont rajouté, ce que la critique – philosophique, littéraire, sociologique – a trouvé à préciser ou à nuancer. Des monceaux de livres à dépouiller et à cataloguer, couvrant tous les domaines, de la philosophie à la science, de l’alchimie à la kabbale. De longues, très longues lectures seraient requises pour écrire ce livre sur le livre dont tout lecteur invétéré, revenu du livre, plus ou moins libéré de ses démons littéraires, caresserait le projet, ne serait-ce que pour prendre sa revanche contre les livres ingurgités – souvent en vain, ruminés – souvent avec des crampes, dégurgités – souvent sans complaisance. Interminable, surhumain… accablant, d’autant que les deux traits requis pour commettre ce dérisoire sacrilège – la patience et l’endurance – se rencontrent de moins en moins parmi les lettrés, auxquels on ne demande que d’écrire de plats livres pour des lecteurs de plus en plus acquis au fast book. Pourquoi passer des années à composer un livre qui retiendrait à peine l’attention alors que l’on ferait mieux de les consacrer à des récits plus ou moins réussis qu’on s’arracherait dans les gares, des confessions plus ou moins intimes qui assouviraient cette curiosité malsaine qui se rencontre chez les humains, des considérations autobiographiques sur lesquelles personne n’aurait rien à redire pour la simple raison qu’on ne les lirait pas ou n’oserait attenter à la notoriété – politique, cinématographique ou littéraire – de leur auteur ?

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