Le divan et le Talmud

Paul Sidoun

Genre: Témoignage

2012

about the book

Déambulation psychologique et talmudique autour des questions que soulèvent une thérapie en quête de sens, les désarrois amoureux et la hantise de la mort et son apaisement. Une déambulation écrite comme un roman autobiographique se gardant de tout jargon et montrant cette vivacité qui caractérise la pensée talmudique.
Un psychiatre dévoile l’envers de sa pratique thérapeutique et la soumet à la critique talmudique d’un rabbin. Une rencontre étonnante pointant les naïvetés de la pensée psy et ses inadéquations au monde postmoderne. Le psychiatre qui a beaucoup voyagé, géographiquement et intellectuellement, considère avec un recul salutaire et éclairant les querelles de chapelle qui font les délices du monde psy. Une thérapie serait davantage un apprentissage qu’une guérison.

from the book

Cela se passe à Paris. L’école talmudique, la Yeshiva (le lieu où l’on s’assoit en hébreu), est dans une petite rue du 9e arrondissement. Il y a des épiciers arabes, une charcuterie avec des cochons en plastic sur le trottoir et même la curieuse façade du Grand Orient de France. J’aurais pu me tromper de porte d’ailleurs. Notre monde est curieux, vers où se tourner pour chercher ? La porte est anonyme et s’ouvre sur un passage sombre et une arrière-cour. Il y avait là avant laYeshiva, une communauté juive moribonde : la congrégation de ceux qui craignent Dieu. Hasard ? Il faut croire que je suis de ceux qui craignent Dieu. Je dois en avoir toujours été parce que j’étais bon élève et cela induit la peur de Dieu. De Dieu et de tout le reste, les professeurs, les mauvaises notes, les parents, la maladie, la mort. Je ne me veux pas comme ça mais qu’y puis-je ? Pendant des années, sans le savoir, j’avais trouvé le butin de cette vie bien maigre. Jecroyais qu’il y avait ailleurs des monceaux d’une joie plus ou moins coquine et pleine de stupre qui n’était pas pour moi. Je le croyais jusqu’au moment où des années plus tard, j’avais vu revenir vers le psychiatre que j’étais devenu les blessures de ceux qui avaient mangé leur chocolat avant leur pain (pendant des années, j’avais fait le contraire bien consciencieusement). Ils étaient revenus cabossés par la vie,les ruptures, les peines. Ils n’étaient pas vainqueurs mais moi non plus. Mon immaturité ou mon amertume devenait maintenant une désorientation. Ni eux, ni moi, alors qui ? Ni les cigales ni les fourmis, alors qui ? Ni ceux du matin ni ceux du soir, alors qui ?

Rav Grosz est mince, pâle, toujours habillé en blanc et noir. Le noir en bas, le blanc en haut et la barbe dans un mélange des deux. Quand il enseigne, il est drôle, agité. Il parle debout en déambulant ou en s’appuyant sur un lutrin vide qu’il balance sur ses pieds de devant. Franchement, rien de posé, rien d’un quelconque décorum, rien d’une messe. Il peut tout aussi bien se mettre à chanter au milieu d’un raisonnement ou citer Astérix au milieu d’un traité du Talmud. Il sait imiter la gouaille des banlieues ou parler en verlan. Dans toute cette agitation, nous avançons dans l’étude. Il ne se prend pas au sérieux pour que nous nous sentions poussés à le faire. Apprendre l’aride trituration des textes, les ruses de l’araméen, la langue du Talmud, tout comme l’impitoyable rationalité des confrontations de textes, c’est vers cela qu’il nous dirige. En riant, il nous empêche de nous vautrer dans une quelconque rhétorique, de nous soûler de nos propres mots. Il nous déjoue.

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