Le chantre des murs blancs

Sid Maleh

Genre: Récit

2018

about the book

Au début du XXe siècle, Casablanca attirait des migrants des quatre coins du Maroc. En deux décennies, la Maison blanche située sur une colline se donnait un port et s’entourait de quartiers modernes, de médinas et d’un mellah – quartier juif – qui accueillait les plus valeureux parias des autres mellahs séduits par les promesses de la France. Les listes d’attente pour les écoles ne cessaient de s’allonger et la ville, où se croisaient les architectures et les arts, exerçait ses charmes délétères sur des personnages partiellement aveuglés par les lumières coloniales. C’est dans cette ambiance, plus délurée que désabusée, que grandit la légende de celui qui devait devenir le plus grand chantre du judaïsme marocain. Sa renommée ne se démentit pas même quand il choisit, après être devenu aveugle, de se ranger et de se consacrer à la musique liturgique pour expier ses nombreux péchés.

Ce livre reconstitue la saga de ce « mellah des mellahs » où se déversa l’histoire du judaïsme marocain avant de se débander dans tous les sens. C’est la biographie musicale d’une communauté parmi les mieux intégrées à leur environnement et les plus sournoises et dessillées. C’est aussi le récit de la protection coloniale sous laquelle est né le Maroc pluriel qui intrigue et séduit tant de nos jours

from the book

Le mellah de Casablanca étendait son dédale de rues et de
venelles entre la porte de Marrakech, le marché de l’Abondance
et le cimetière des Mille et Un Inconnus. Des bâtisses
loqueteuses de deux à trois étages, encastrées les unes dans les
autres, menaçaient de s’écrouler sur les venelles qu’on n’était
jamais sûr de traverser sans recevoir sur la tête la croûte d’un
mur ou le douteux contenu d’un seau. Les magasins débordaient
sur les rues et les rues s’engouffraient dans les magasins.
C’était le plus grand marché aux puces du Maroc. Des meubles dépareillés, des instruments rouillés, des machines
abîmées, des moulins déglingués. Des armoires d’Aragon, des
commodes de Castille. Des colliers de Guinée, des chaînes du
Ghana. Des manuscrits de Tombouctou, des reliques de Sigilmassa.
Toute une camelote, déversée par bateaux entiers, dans ce nouveau débarcadère du monde qu’était Casablanca, et comme les marchands ne songeaient pas à mettre de l’ordre dans leurs cavernes, on avait l’impression de flâner entre les gravats de civilisations. Les détritus s’accumulaient dans les rues. Des boyaux de poulets, des carcasses de chats. Des relents de puanteur montaient des égouts, des rats couraient les rigoles. C’était surtout un marché aux puces de personnages venus de tous les mellahs du Maroc. Ils avaient cent, mille ans, des yeux qui voyaient si loin qu’ils ne voyaient plus rien, des oreilles si sensibles aux remous du ciel qu’elles n’entendaient que leurs échos sur terre, des membres si débilités par l’exil qu’ils ne semblaient plus pouvoir s’en servir. Les personnes âgées étaient accroupies contre les murs et l’on ne savait si elles attendaient le Messie ou l’Ange de la mort. Ils passaient leurs journées en prières sous le régime des trois P : les Poux, les Puces et les Punaises.

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