Contes de Bratslav

Rabbi Nahman

Genre: Contes

2013

about the book

Rabbi Nahman de Bratslav (1772 – 1810) est l’un des personnages les plus énigmatiques de la grande saga de l’hassidisme. Il mourut sans laisser de successeur. Ses disciples formèrent « une secte orpheline » qui aurait probablement disparu si Rabbi Nahman n’avait laissé des commentaires consignés par ses proches disciples, des considérations sur la réparation et sur le Messie ainsi que des contes kabbalistiques qu’on ne se lasse pas de lire et d’interpréter. Rabbi Nahman poussa le talent de conteur à son expression la plus sublime. Ses contes se proposaient d’entraîner ses auditeurs au-delà d’une réalité toute prosaïque et de leur entrouvrir cet univers messianique qui donne à rêver. Les chercheurs présentent volontiers Rabbi Nahman comme l’un des précurseurs de la littérature juive du xxe siècle, représentée par des auteurs comme Franz Kafka, Chaï Agnon, Bashevis Singer.

from the book

Le Maître de prière

Il était une fois un Maître de prière qui vouait tout son temps à louer Dieu. Installé loin des hommes, il pénétrait parfois quelque endroit habité et se rendait de préférence chez les indigents et les gens simples. Il leur parlait de la finalité du monde. Il leur disait qu’en vérité le monde n’a aucun but, si ce n’est qu’on pouvait y consacrer toute sa vie à la prière et au service de Dieu. Il parlait ainsi afin de provoquer l’éveil chez son interlocuteur et que ses paroles pénètrent son cœur ; s’il décidait alors de se joindre au Maître de prière, celui-ci le conduisait hors de la ville, là où il vivait. Le Maître de prière s’était établi en un lieu isolé où coulait une rivière et poussaient des arbres fruitiers dont il se nourrissait. Lui et ceux qui l’entouraient ne se souciaient pas de leurs vêtements et portaient ce qu’ils trouvaient. Le Maître de prière allait donc parfois vers les hommes de la ville et les invitait à suivre sa voie qui n’était que prières et service divin. Ceux qui acceptaient de l’écouter, il les ramenait ensuite avec lui, et à leur tour, ils ne se préoccupaient plus que de louanges, jeûnaient et se repentaient. Le Maître de prière leur distribuait des livres dont ils ne se séparaient plus. Parmi les nouveaux venus, certains ramenaient encore d’autres gens, après avoir reçu l’accord du Maître de prière, et à leur tour, ils se vouaient à l’adoration du Très-Haut. Des rumeurs, cependant, commencèrent à circuler. Elles disaient que des gens disparaissaient du jour au lendemain. Nul ne savait où ils allaient. Certains avaient ainsi vu disparaître un fils, d’autres un gendre, et on finit par découvrir l’existence d’un Maître de la prière qui se consacrait à convaincre les gens de faire retour à Dieu. Néanmoins, on ne pouvait le capturer, car chaque fois, il portait un déguisement différent. Il apparaissait dans des habits de pauvres ou bien sous l’aspect d’un marchand. Et lorsque son interlocuteur se fermait à ses paroles, il faisait en sorte qu’il ne puisse percer à jour ses véritables intentions. Depuis l’endroit retiré qu’il s’était choisi, le Maître de prière avait le pouvoir de satisfaire tous les besoins de ceux qui s’étaient ralliés à lui. S’il constatait que, pour des motifs liés à sa personnalité, l’un d’eux avait besoin d’un habit doré pour servir Dieu, il le lui obtenait. D’autres fois, c’était l’inverse : un des hommes riches qui l’avaient rejoint devait revêtir des haillons, qu’il lui fournissait aussi. Toutefois, aux yeux des gens qui le suivaient, le jeûne et la dévotion étaient infiniment plus précieux que tous les plaisirs du monde.

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